Les déclarations incendiaires du général ougandais Muhoozi Kainerugaba, fils du président Yoweri Museveni et chef d’état-major de l’armée ougandaise (UPDF), ont jeté un froid sur les relations déjà tendues entre Kampala et Kinshasa. Alors qu’un fragile cessez-le-feu vient d’être signé à Doha entre la RDC et le Rwanda sous médiation qatarie, ses propos menaçants sur la prise de Kisangani ravivent les craintes d’une escalade régionale.
Dans une série de tweets publiés ce dimanche 23 mars, Muhoozi Kainerugaba a franchi une ligne rouge en affirmant vouloir « reconquérir le trône de [s]on père » et « marcher sur Kinshasa », s’il était congolais. Une rhétorique teintée de mégalomanie, mais surtout perçue comme une menace directe contre la souveraineté de la RDC.
Un héritier en quête de légitimité ? Fils de Museveni, Muhoozi, 51 ans, gravit les échelons militaires et politiques depuis des années. Ses déclarations belliqueuses pourraient viser à renforcer son image d’homme fort, dans un contexte où Museveni, 80 ans, prépare sa succession.
En évoquant Kisangani, ville stratégique du nord-est congolais riche en minerais, il ravive les vieux démons de la guerre de 1998-2003, où l’Ouganda avait occupé une partie de la RDC. Un signal à destination de Kigali, allié historique mais rival économique ?
Le général ougandais a ajouté de l’huile sur le feu en annonçant que « dans une semaine, le M23 ou l’UPDF seront à Kisangani », sur ordre de Museveni. Pire : il a clairement indiqué que l’armée ougandaise « ne s’opposera pas à la prise de la ville par le M23 », un groupe rebelle soutenu par le Rwanda, selon l’ONU et Kinshasa.
Le M23, pion déstabilisateur, bien que le mouvement ait accepté théoriquement de quitter ses positions dans le cadre de l’accord de Doha, des sources civiles et militaires congolaises rapportent des mouvements suspects près de Goma et Bukavu. L’Ouganda, historiquement complice du Rwanda dans la déstabilisation de l’Est congolais, joue-t-il un double jeu ?
La ville est un nœud commercial clé et un symbole de résistance (victoire congolaise contre l’Ouganda en 2000). Sa chute signerait un effondrement stratégique pour Kinshasa.
Dans ses tweets, Muhoozi a également taclé les États-Unis, avertissant que « Donald Trump ne devrait jamais signer un accord minier en Afrique de l’Est sans l’Ouganda et le Rwanda ». Une référence voilée aux négociations en cours entre la RDC et le Gouvernement américain pour l’exploitation du cobalt et du coltan, minerais essentiels à la transition énergétique.
L’Ouganda et le Rwanda, bien que dépourvus de réserves significatives, profitent depuis des décennies du trafic illicite de minerais congolais. Un accord direct entre la RDC et les États-Unis menacerait ce business opaque.
Les provocations de Muhoozi Kainerugaba ne sont pas anodines. Elles s’inscrivent dans un contexte où la RDC, fragilisée par des décennies de conflits, tente de se repositionner comme partenaire stratégique de l’Occident. Si Kampala passe à l’acte, les conséquences dépasseraient la région : perturbations des chaînes d’approvisionnement en minerais, afflux de réfugiés, et risque de confrontation indirecte entre puissances étrangères (États-Unis, Chine, Russie).
Une chose est sûre : chaque mot du général ougandais est désormais scruté comme un code. Et dans cette partie d’échecs géopolitique, le peuple congolais, une fois de plus, paie le prix de l’appétit des autres.